Malgré l’excision : «j’ai choisi le bonheur»
- aubenetraore
- 7 avr.
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Dernière mise à jour : il y a 1 jour
Sang-loi, sang-religion : la haine
Elles ont été des nourrissons, des enfants (4 et 7 ans), des pubères (10 et 13 ans) et même pour certaines, des jeunes femmes ( 16 ans). Chacune jugée par des membres de leur famille, selon les codes d'une partie de leur communauté d'origine, comme «impure», «sale», potentiellement frivole. Dès lors, quelque fût leur âge, quelque fût la loi du pays, quelque fût la nature du lien qui les attachait aux organisateurs de leur excision, lorsque la décision fut prise, « au pays », et même pour certaines, ici, sur le sol français, elles ont été dans l'impossibilité d'échapper à la mutilation de leur organe génital.
Sous couvert de rites culturels, de coutumes transgénérationnelles, d'interprétations religieuses, et d'autres rationalisations médicales*, leur organisme, leur corps, leur psyché sont devenus réceptacles du débordement pulsionnel des organisations intramoïques de majeurs tortionnaires. Ainsi, encore aujourd'hui, sous cette condition, sous les regards, et parfois les rires des aïeuls, elles-mêmes mutilées dans leur enfance, des nourrissons, des fillettes et des pubères, se voient attribuer la qualité de femme...

«Tuer» une femme à présent...
... parce que survivante à la mutilation, parce que diminuée dans leur chair, parce que résistante à la douleur et brimée. Après que leur organisme ait cicatrisé, chacune s'est entendu dire, dans un décor festif, dans la danse, en musique, en chantant, entourés de témoins femmes, de témoins hommes, d'enfants garçons ou filles, de la famille, des amis : « tu es une femme à présent ». Clitoris tranché, petites lèvres sectionnées, grandes lèvres ablatées, sexe cousu après avoir été mutilé : « tuer une femme à présent ».
Pour celles qui n'en sont pas mortes, l'organisme a cicatrisé. Qu'en est-il de leurs corps : leur corps sexuel, leur corps sexué, leur corps source de lien social, leur corps traversé par les signifiants du langage ?
Annihiler l'excitation sexuelle de la femme, maîtriser la destinée des jeunes filles, les priver du plaisir de découvrir leur corps, de devenir des femmes, les réduire à l'ilotisme, selon ces rites, passerait par la déprivation réelle de ce qui serait identifié comme source de leurs pulsions sexuelles féminines : l'excision de leur vagin en tout ou partie.
Ce que me font entendre ces femmes qui parlent, c'est que l'ignorance n'est pas de leur côté, mais du côté de cette armée d'hommes et de femmes probablement aliénés à leur haine, elle-même soumise à son insatiable envie de vengeance. Non, messieurs les maris promis, mesdames les exciseuses : le corps ne peut être réellement une propriété comme les siècles d'esclavage nous l'ont enseigné, faire couler le sang feint l'apaisement, mais ne règle pas sa propre souffrance; Le vagin n'est pas la femme, une femme n'est pas un vagin, la pulsion de vie ne se loge pas dans le clitoris, coudre les petites et grandes lèvres n'empêchent ni de parler, ni de grand-dire.
Ce que m'apprennent les paroles de ces femmes que j'écoute : les lames, pierres taillées ou crochets, aussi aiguisés et pointus soient-ils , la haine, aussi féroce soit-elle, n'ont pas atteint leur curiosité, ni leur courage, ni leur envie d'apprendre, de savoir, de comprendre et d'exister. Le réel de la mutilation n'a pas atteint leur désir.
Malgré l’excision : «J’ai choisi le bonheur»
Lorsque d'une voix claire et assumée une femme poings serrés, sourire aux lèvres affirme malgré l’excision : «j’ai choisi le bonheur», c'est son désir qui parle.
Lorsqu'une autre fait le choix de vivre, et qui plus est libre, quitte à en payer le prix par une rupture familiale, l'isolement et le risque de la pauvreté, c'est le désir qui tranche.
Lorsque 20 femmes viennent à un groupe de parole, pour dire, pour écouter, être écoutées par des cliniciens psychothérapeutes et psychanalystes, c'est le désir qui réunit.
Des femmes excisées, soulagées d'avoir parlé et d'avoir été écoutées sont reparties avec l'espoir de pouvoir dire à leur tour : «Malgré l'excision, j'ai choisi le bonheur».
Merci Erwann Gouadon pour votre invitation à être sur le chemin de pensées de ces femmes qui ont survécu à la torture de l’excision. Merci à chacune de ces femmes désireuses, d’avoir consacré leur courage, dans ce groupe de parole et d'écoute, à parler de leurs douleurs corporelles et organiques, de leurs traumatismes et souffrances psychiques, librement. Merci à celles qui ont tenu à écouter leurs «collègues», comme elles les appelle, avec tant de présence.
En consultation, bienvenue à celles qui ressentent le besoin d'être reçue singulièrement en psychothérapie pour parler de leur souffrance propre, et pour être écoutée en tant qu'être unique. Bienvenue également aux hommes, maris, frères et fils qui souffrent des conséquences de l'excision de leur mère, épouse, soeur. Et parce que la répétition du pire n'est pas obligée, parce que d'autres voies que celle de faire souffrir pour ne plus souffrir sont possibles, bienvenue en psychothérapie à celles et ceux qui souffrent de leur passage à l'acte.
*«La clitoredectomie fit son apparition en France et en Europe au 17ème siècle… pour guérir certaines formes d’insomnie. Elle fut utilisée aux États-Unis jusqu’en 1925, pour les mêmes raisons auxquelles s’ajoutaient des motifs « d’hygiène ». Il se trouva même un médecin du Texas qui pratiquait l’excision pour guérir la frigidité !», https://enfance-majuscule.fr/histoire-de-lexcision/, consulté le 19/04/25
**À nos corps excisés - La vie en face - Arte: « Née en France de parents sénégalais, Halimata a été excisée à l'âge de 5 ans (...) », consulté le 19/04/25